Wednesday, February 25, 2009

VOL DE MADRID

Apres trois mois de stage de recherche a Séville mes valises étaient enfin bouclées quand il s'est avéré que le collegue qui s'était proposé pour me conduire a l'aéroport était malade. Un autre collegue s'est immédiatement proposé. Nous sommes montés en voiture et avons pris la route. Apres quelques dizaines de metres mon collegue espagnol a hésité, a tendu l'oreille, a donné des coups de volant puis s'est arreté. Nous sommes descendus de voiture et avons constaté que le pneu arriere droit était a plat. Mon collegue paraissait calme. Il a sorti du coffre l'outillage nécessaire et l'a déballé. Il s'est aperçu alors qu'il lui manquait la clef pour démonter la roue. Les Espagnols sont réputés pour leur grande légereté dans les choses pratiques et pour leur certitude dure comme un roc que tout finit toujours par s'arranger. Dans ce cas précis, non loin de la une station service est tombé a pic. Mon collegue espagnol s'y est rendu, a acheté un nouvel assortiment d'outils et a essayé enfin de démonter la roue. Pas moyen. J'ai essayé aussi mais sans succes. Il a réessayé a son tour. Le temps qui passait me contraignait a démonter cette maudite roue a tout prix. J'ai forcé sur la clef et ...l'ai cassée. Mon collegue espagnol a remballé ses outils avec résignation et a regardé autour de lui, décontenancé. J'ai eu a ce moment-la la possibilité de m'assurer qu'en Espagne la civilisation fonctionne, malgré le penchant bien connu des Espagnols a improviser au dernier moment. On apercevait l'enseigne lumineuse d'un garage a une centaine de metres derriere nous. Nous avons poussé la voiture jusque la, les mécaniciens l'ont mise aussitôt sur un élévateur hydraulique et ont changé la roue en cinq minutes. Chez nous cela aurait pris cinq minutes aussi mais les palabres avec le mécanicien pour lui faire faire quelque chose en dehors du planning et sans réservation quinze jours a l'avance aurait pris au moins une demi-journée. Ainsi, a Séville j'ai eu tranquillement mon avion pour Madrid.

A Madrid mes amis m'attendaient. Pepé et sa femme Mercedes, Clara et Ivan, la sour et le frere de Mercedes, étaient tous venus m'accueillir. Ils savaient que j'étais déja venu une fois a Madrid quelques jours et ont donc décidé de m'emmener en week-end dans leur maison d'été, dans le petit village de Navaluengo pres de Salamanque. C'était un vendredi et mon avion pour Prague s'envolait le dimanche soir. J'ai passé deux jours merveilleux et ensoleillés a Navaluengo. Nous nous sommes bien amusés et promenés et nous avons beaucoup bavardé. J'ai aussi pris conscience que la vie nocturne ne commence ici qu'au moment ou chez nous, seuls les plus grands fetards sont encore debout. Donc nous dormions tard dans la matinée. Meme le jour de notre départ, dimanche, tout le monde ne s'est réveillé que vers onze heures. Nous avons pris le petit déjeuner sur la terrasse ensoleillée puis nous sommes allés nous promenés. C'est alors que Mercedes me demanda, juste pour savoir, l'heure exacte de mon vol.

" Sept heures du soir et il faudrait que je sois a l'aéroport a six heures. "A voir mes hôtes, j'ai compris a cet instant que ça n'allait pas. Pepé a demandé par acquis de conscience :

" Tu sais qu'on est passé de l'heure d'hiver a l'heure d'été ? Maintenant il est en fait une heure de plus que celle qu'indiquent nos montres ! "

Je savais bien sur qu'on changeait d'heure. Pour je ne sais quelle raison, j'avais en fait pensé que ce devait etre dans la nuit du dimanche au lundi, quand je serais déja assis paisiblement dans l'avion du retour. Il était une heure de l'apres-midi, deux heures en réalité. Iván, qui aurait pu m'emmener plus tôt était déja parti le matin et mes hôtes ont donc préparé avec une grande présence d'esprit un emploi du temps improvisé. Par malchance, celui-ci comprenait le déjeuner du dimanche : un bon repas dominical en Espagne ne se néglige pas. Nous sommes donc rentrés a la maison, les femmes ont fait la cuisine, nous avons fait les bagages, avons déjeuné, avons fait la vaisselle, avons rangé, avons fermé la maison et ...il était quatre heures de l'apres-midi. Pepé, qui conduisait, a déclaré qu'il y arriverait. A peine nous étions-nous mis en route que les jeunes femmes se sont endormis. Mais moi, redoutant la façon dont cela finirait, je ne pouvais pas penser au moindre repos. Pepé me souriait d'un air encourageant quand nous serpentions par les routes sinueuses de la Sierra espagnole de Guadarrama et quand nous devions nous insérer dans une file de voitures qui suivaient au rythme d'un escargot quelque dame au volant qui avait décidé de jouir des beautés du paysage. Malgré cela, tout ce serait bien terminé si nous avions pensé aux files d'automobilistes du week-end sur les routes qui menent a la capitale. Nous sommes restés coincés sans espoir dans l'une d'elle a encore dix kilometres de Madrid. Les femmes se sont réveillées et ont commencé a se concerter en espagnol avec Pepé. C'était désespéré. Nous nous trouvions dans une colonne qui n'avançait qu'au pas. Pas moyen de s'en échapper, de doubler, il n'y avait qu'a se traîner avec les autres. Je savais que c'était mal parti. Mais pour corser le tout, j'avais terriblement besoin de m'isoler ; seulement, il n'y avait nulle part ou aller. On ne voyait que la plaine aride et dénudée a des kilometres a la ronde ; pas la moindre petite bosse derriere laquelle aller. La colonne aurait pu, juste a ce moment-la, se mettre en mouvement de façon inattendue ; et courir en tenant mon pantalon jusqu'a la voiture sous les coups de klaxons outrageants...j'ai préféré me retenir. La scene était prete pour une parfaite piece tragi-comique.

Mercedes et Clara m'ont consolé. Mercedes en slovaco-russe car elle avait étudié les deux langues. Elle était meme allée en Slovaquie avec Pepé et ça leur avait plu. Toute leur bonne volonté ne pouvait rien contre les faits qui se rappelaient sans cesse a moi. Si je manquais mon avion, il n'y avait pas d'autre vol avant quatre jours. Sans parler du fait que j'avais un billet d'avion a date fixe que normalement on ne peut pas changer et le mercredi suivant j'avais une nouvelle conférence en Hongrie.

" Calme-toi, Gustáv, si nous n'arrivons pas a temps, nous ne nous arreterons pas tant que nous ne t'aurons pas conduit jusqu'a Bratislava. "

Mercedes avait beau me consoler, de désespoir, j'ai préféré ramener mon blouson sur ma tete et essayer de dormir. Je pensais qu'au moins ainsi je ne penserais a rien mais ça a été exactement le contraire : les enchaînements d'idées les plus bizarres ont commencés a me venir a l'esprit.

Je ne sais pas si vous croyez aux mysteres du voyage mais moi je rencontre régulierement au cours de mes voyages des phénomenes qui sont, sinon mystérieux, pour le moins remarquables. Par exemple le voyage aller pour l'Espagne devait déja me mettre en garde sur ce qui m'attendrait au retour. Le matin ou le car de la ligne réguliere devait nous conduire a Prague située a quatre cent kilometres il y a eu tout d'un coup un tel verglas que les gens ne pouvaient pas faire plus de deux pas sans tomber sur le trottoir. Je ne pouvais pas dormir, comme avant chaque grand voyage, et j'ai donc vite appelé la collegue qui partait avec moi pour lui dire que nous devions, pour le salut de notre voyage, prendre le train au lieu du car. Le train ne dérape pas. Mais a cause du départ plus tardif du train nous avions tres peu de temps pour nous rendre de la gare de Prague au bureau de la compagnie aérienne et prendre le bus pour l'aéroport. Malgré cela, ma compagne de route s'est mise dans la tete qu'a Prague il fallait aller prendre une biere au kiosque. Ce diable de bonne femme a failli me faire avoir une crise cardiaque. Elle avait reçu la meme bourse que moi mais elle, c'était pour étudier le flamenco a Madrid. Ce n'était pas une personne simple mais contrairement a moi elle possédait une parfaite connaissance de l'espagnol, la capacité de se préparer ses repas elle-meme et l'expérience d'un séjour d'un an a Paris. On pourrait penser qu'elle comprendrait qu'il est dommage de rater son avion a cause d'une biere. Mais elle ne le comprenait pas et ainsi nous sommes arrivés en retard a la station de bus. C'était dimanche ; le bureau de la compagnie aérienne était déja fermé et le prochain autobus partait pour l'aéroport apres le départ de notre avion. Nous étions perdus. Mais avant que je n'eusse le temps de bien m'énerver est apparu mon ancien ami de Prague a qui j'avais écrit que nous pourrions peut-etre nous rencontrer a cet endroit en attendant l'autobus. Comme un ange céleste prévoyant il est arrivé avec le taxi de son ami et nous a conduit a temps a l'avion qui attendait. Maintenant, en sens inverse, encore un dimanche, j'étais de nouveau pressé sur le trajet de l'aéroport et l'issue dépendait de la meme façon du bon vouloir de mes amis. Et pour que ce soit complet, cette fois aussi une biere, celle que j'avais prise en plus du déjeuner, me le rappelait de façon dramatique.

La file de voitures s'ébranla. Dans les petites collines avant Madrid nous montions sur des petits sommets comme pour voir que derriere il y avait encore un autre. Nous nous déplacions au pas dans ce désert sur l'unique route et malgré ça, nous sommes finalement arrivés a l'endroit ou toute la calamité de la circulation avait commencé. Enfin nous avons débouché sur le périphérique. Les maisons et les quartiers autour de nous défilaient tres rapidement alors que Pepé dépassait toutes les vitesses autorisées. Mais nulle part d'aéroport. En plus, mon besoin de visiter les toilettes atteignait des degrés incroyables d'urgente nécessité. Mais arretez-vous au milieu du périphérique quand il ne reste qu'une quinzaine de minutes avant le décollage de votre avion ! Et c'est ainsi que des voyageurs occasionnels ont été témoins d'un phénomene inhabituel sur l'aéroport international de Madrid en ce dimanche soir.

A grande vitesse et dans des grincements de freins a surgi une voiture d'ou est descendu un jeune homme inconnu qui s'est précipité sans un regard pour ce qui l'entourait dans le hall de l'aéroport. Le chauffeur de la voiture s'est effondré sans bruit derriere son volant, conscient d'avoir réussi. Puis c'était le grand numéro des deux jeunes femmes du siege arriere : elles ont sauté de la voiture, ont sorti du coffre les valises de l'inconnu et ont couru avec elles a l'enregistrement. Seulement il manquait les papiers.

Je peux vous assurer que les femmes espagnoles ne se laissent pas décontenancer dans les moments critiques. Elles sont entrées dans les toilettes des hommes et m'ont expliqué rapidement la situation. Je leur ai passé mon passeport et mon billet d'avion par-dessous la porte métallique et elles ont disparu. Entre-temps je me suis enfin débarrassé des urgences et en me rhabillant j'ai traversé en trombe le hall de l'aéroport. Mercedes et Clara ont juste eu le temps de me tendre mes papiers et la carte d'embarquement, je leur ai fait un signe d'adieu, ai passé tous les contrôles et les détecteurs électroniques en courant avec de grands clins d'oil des douaniers et des policiers, ai trouvé dans ma course la bonne porte de sortie vers mon avion, a couru sur le terrain d'aviation jusqu'au bus de l'aéroport et a sauté dedans juste avant la fermeture des portes. Cela a couté plusieurs verres de cognac a la ČSA, la compagnie aérienne tchécoslovaque, pour que je reprenne tous mes esprits, en sécurité sur le siege de l'avion, côté fenetre.

Traduit par Catherine Hubert

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